Houlle, une tradition de plus de 2 siècles

Houlle est un petit village de l’Audomarois, sur les bords de la rivière qui porte le même nom. Longtemps ses habitants vivent de l’agriculture, avant que ne se développent les voies de communication, routières et fluviales, et par là même d’autres activités. C’est ainsi que la famille Decocq fonde la genièvrerie de Houlle en 1812.

Un terroir très favorable

Le premier site de la distillerie de Houlle vers 1910
Le site de la distillerie de Houlle vers 1910

En installant une genièvrerie à Houlle, les Decocq se sont appuyés sur un environnement prometteur. La Houlle tout d’abord, cette petite rivière dont l’eau provient des pluies qui ravinent les collines calcaires de l’Artois et qui prend sa source dans le village. Longue d’un peu moins de cinq kilomètres, elle est navigable sur toute sa longueur et se jette dans l’Aa qui communique avec tout le réseau fluvial de la région. La commune dispose d’un port depuis des siècles. Le charbon pourra ainsi être livré directement à la distillerie, pourtant installée à une centaine de mètres de la source.
Elle fournit également en quantité une eau de qualité. Il en faut beaucoup pour la distillation. Elle entre dans la composition du produit final, mais elle est également nécessaire pour refroidir les vapeurs issues de l’alambic et les condenser. L’eau de la Houlle est calcaire, mais les distillateurs sauront s’en accommoder pour réaliser l’alchimie avec les céréales elles aussi issues du terroir.
Un dernier facteur, non négligeable, explique la création de la distillerie par les Decocq : ce sont des exploitants agricoles. Ils disposent donc de leurs propres récoltes, mais également sur place d’une meunerie. Les résidus de la distillation, les drêches, pourront servir à nourrir leur bétail pendant l’hiver. Tout semble réuni pour que cette nouvelle entreprise soit un succès.

L’arrivée de Paul Lafoscade, un tournant

Après sa création en 1812, on sait peu de choses sur l’exploitation de la distillerie par les Decocq, si ce n’est qu’elle est partiellement détruite par un incendie en 1885. Albert Decocq décide alors de la revendre dès l’année suivante. Son successeur, Paul Lafoscade, s’installe donc à Houlle en 1886 et commence l’exploitation de la distillerie. Entrepreneur, grand communicant, fin commercial, il multiplie les activités professionnelles. Il dirige déjà deux fermes, une sécherie de chicorée et une carrière de Marne ; il sera conseiller général, maire de Houlle de 1892 à 1920… Il se plaisait à répéter ce que l’on peut considérer comme sa devise : « douze métiers, treize misères ».
Dès son arrivée, il doit faire face à la concurrence sérieuse de genièvres aux prix de revient inférieur par l’utilisation de matériel plus moderne comme les colonnes de distillation. Mais cela ne l’empêche pas d’aller au bout de son idée : plutôt que de tirer les prix vers le bas, il se tourne vers la recherche de toujours plus de qualité et d’authenticité. Une philosophie qui va s’avérer payante et reste encore aujourd’hui celle de la distillerie. Il conserve donc le matériel ancien qui avait fait la renommée du genièvre de Houlle jusque là. Il adopte un emblème, deux coqs sur un hémisphère, rappelant le passé de l’entreprise et ses fondateurs. Il travaille la méthode, le choix et les proportions des céréales, et surtout développe une stratégie commerciale innovante, basée sur la communication et la vente aux particuliers. Il s’inscrit à de nombreuses foires et concours agricoles où les résultats ne tardent pas. Le « Schiedam de France » de Lafoscade va collectionner les plus hautes récompenses, comme il le notait sur ses étiquettes : médailles d’or en 1887 au Havre, en 1888 à Bruxelles, en 1892 à Amiens, en 1893 à Arras et en point d’orgue, en 1889 et 1900 à Paris à l’occasion des expositions universelles…

Quelques étiquettes de genièvre Lafoscade
Quelques étiquettes de genièvre Lafoscade

14-18 puis les belles années

La salle des alambics vers 1910
La salle des alambics vers 1910

Outre l’impact de la guerre sur la consommation et la nécessité de réserver le grain à la nourriture humaine et animale, la distillerie de Houlle, située derrière les lignes, est réquisitionnée par l’armée qui utilisait l’alcool comme solvant pour la fabrication de la poudre sèche et de ses munitions.
Après-guerre, les capacités de production en France, dopées par les besoins de l’armée, dépassent de loin les possibilités de vente. Il faut également ajouter à cette conjoncture des récoltes de vin abondantes qu’il faut là aussi écouler. En résultent deux mesures votées le 31 décembre 1920 : la première n’autorise à reprendre leur production que les distilleries qui officiaient déjà entre 1910 et 1914, ce qui fort heureusement était le cas à Houlle. La seconde concerne la mise en place d’un contingentement : la production est sévèrement limitée en fonction de la consommation locale. Cela explique en partie pourquoi notre genièvre est resté ancré au terroir du Nord de la France et ne s’est pas beaucoup répandu au-delà de la Picardie. Beaucoup de distilleries ne s’en relèveront pas.
Néanmoins, à Houlle, ces limitations vont en quelque sorte protéger la genièvrerie en limitant le nombre de concurrents. Paul Lafoscade fils, qui a pris la succession, suit le chemin tracé par son père. La notoriété est toujours là, les années 20 et 30 seront de belles années.
En 1927, l’ancien établissement, à l’entrée du village, est revendu à la société des eaux de Dunkerque. La distillerie déménage et s’installe 200 mètres plus loin, là où elle se trouve toujours actuellement. Paul Lafoscade aménage les nouveaux bâtiments pour pouvoir continuer à distiller à l’ancienne, comme il l’a toujours fait, sans chercher à moderniser l’outil de production. Quelques mois plus tard, le genièvre coule de nouveau à Houlle.
Puis vient l’été 1940 et l’invasion allemande. Paul Lafoscade quitte la région en plein exode et s’installe à Paris, d’où est originaire son épouse, avec l’idée de revenir au plus vite.

La distillerie Lafoscade devient distillerie Persyn

Paul Lafoscade revient de temps en temps à Saint-Omer pour régler ses affaires et y croise souvent Eugène Persyn, un cousin par alliance, et son fils Michel. Ce dernier lui parle souvent de la distillerie, pratiquement à l’abandon avec la pénurie de grains, et finit par le convaincre. Père et fils s’associent pour la racheter en 1942. Mais finalement, Eugène Persyn voit plus Michel reprendre les rênes de la brasserie familiale à Saint-Omer, et son fils aîné Jean-Marie celles de la distillerie à Houlle.
Jean-Marie Persyn racontera ses débuts à Houlle dans un document familial en 2006 :
« J’étais muni de trois ou quatre feuillets fournis par Monsieur Lafoscade expliquant le travail des deux ouvriers réengagés et connaissant bien le métier. Leurs noms : Emile Outreman et Joseph Monthé.
Voici comment cela se passe : arrivée à 6 heures, réanimation d’un feu couvert la veille dans le foyer en dessous d’un alambic pour disposer d’eau à peu près bouillante.
De cette dernière, une vingtaine d’hectolitres sont prélevés et envoyés à part égale, une dizaine chacune, dans deux cuves cylindriques en bois placées dans la salle de fermentation. Dans la même cuve en effet se passent l’empâtage, exécuté à la main au prix de beaucoup de sueur ; le refroidissement, par envoi d’eau froide, au bout de trois heures environ ; et l’introduction de levure.
Pendant ce temps, deux cuves de l’avant-veille étaient vidées dans chacune un alambic et la chauffe commençait. Les chapiteaux de ces deux premiers alambics sont amovibles et ajustés au départ des premières vapeurs, avec trois crochets, aux chaudières qui ne possèdent pas d’agitateur. Les hommes, pour éviter de brûler et d’attacher, comme cela peut se passer dans une casserole si on ne remue pas assez, avaient tourné et gratté pendant près de deux heures en utilisant une espèce de fourquet à long manche.
On procède ensuite à la distillation, comme maintenant, à l’énorme différence près qu’il faut brouetter du charbon puis du machefer… »

Les difficultés de l’après-guerre

La fin de la guerre ne signifie pas une reprise immédiate de l’activité. Le contingentement reste très strict ; les grains manquent ; les tickets de ravitaillement ont encore cours. Il faudra attendre 1950 pour que la distillerie fonctionne de nouveau convenablement. Mais la qualité des grains n’est pas toujours au rendez-vous. Jean-Marie Persyn estime que son genièvre n’aura retrouvé les caractéristiques de celui d’avant-guerre qu’en 1960.bouteille-givree-8
Dans le même temps, la consommation de genièvre telle qu’elle se faisait au début du XXème siècle continue inéluctablement de diminuer. La recherche de la qualité semble le seul salut possible et Jean-Marie Persyn s’appuie sur l’exemple de Paul Lafoscade : maintenir la tradition, la méthode et l’outil de production.
Il abandonne dans les années 1960 la vente en gros et se consacre uniquement à la vente au détail, que ce soit aux particuliers comme aux revendeurs. Puis en 1965, il commence la commercialisation du « Vieux Genièvre d’Alambic » qui deviendra rapidement la « Carte Dorée » (carte signifiant étiquette), un genièvre à 40° vieilli un an en foudre de chêne. Quelques années plus tard, ce sera au tour d’un second genièvre, vieilli plus longtemps donc plus coloré et titrant à 49°. Par inversion des couleurs de l’étiquette, il deviendra la « Carte Noire ». Deux spécialités qui feront toute la réputation du genièvre de Houlle.

Revue "Inter Magazine" 1967
Revue « Inter Magazine » 1967

Une modernisation raisonnée

Le travail à la distillerie reste néanmoins fastidieux. Il faut porter les sacs de grains, effectuer le brassage à la main, tout comme le mélange dans les alambics, écoper avec un seau pour vider les cuves, nettoyer les cuves de bois à la brosse, amener le charbon pour entretenir le foyer… Au fil des années, Jean-Marie Persyn s’attelle avec l’un de ses ouvriers, Robert Baughan, à mieux organiser le site de production pour faciliter le travail, tant que cette modernisation ne modifie pas le résultat et la qualité du produit final.
Une cuve-matière en inox avec un agitateur électrique est installée au second étage, juste à côté du grenier, afin de limiter le transport des sacs de grains et de remplacer le brassage manuel. Dans la salle de fermentation, les cuves sont surélevées pour pouvoir être vidangées par gravité dans les alambics. Ces cuves en bois sont remplacées au début des années 1970 par des cuves métalliques, beaucoup plus faciles d’entretien.
Au niveau des alambics, les chapiteaux amovibles sont remplacés par des chapiteaux fixes. Désormais, celui de gauche sera uniquement consacré au premier passage. Pour ce faire, un ingénieux système de rotation est installé. En remuant constamment le fond, il permet d’éviter qu’il n’attache et ne brûle au moment de la mise en chauffe. La dernière innovation, et pas des moindres, concerne justement la chauffe. Deux brûleurs à gaz sont installés sous les alambics de la distillerie avec des avantages non négligeables : un feu régulier, qu’il n’est plus nécessaire d’alimenter en charbon et de surveiller constamment.

Jean-Marie Persyn
Jean-Marie Persyn

La relève est assurée

En 1969, le fils aîné de Jean-Marie Persyn, Hugues, intègre l’entreprise. Il apprend le métier de distillateur auprès de Robert Meuret, qui lui même tenait son art de Robert Baughan, et ainsi de suite… La transmission s’est toujours faite ainsi à Houlle, d’où la mention que l’on retrouve toujours aujourd’hui sur nos étiquettes et qui précise que le savoir-faire de nos distillateurs est un héritage de plus de deux siècles de traditions.
L’une des premières tâches d’Hugues Persyn sera la mise au point et la commercialisation de la Carte Noire qu’il propose tel quel aux restaurateurs de la région qui apprécient immédiatement la finesse du produit et la subtilité de son goût légèrement boisé. Avec l’introduction du vieillissement dans la conception des spécialités de la maison, c’est également à lui qu’incombera la tâche d’organiser le chai de la distillerie. Elle dispose aujourd’hui de tonneaux, uniquement en chêne, de différentes tailles (du fût de 160 litres au foudre de plus de 4000 litres) et de différents âges. Leurs propriétés uniques font toute la diversité de la gamme proposée à Houlle.
Puis en 1984, c’est au tour de Jean-Noël, un autre fils de Jean-Marie Persyn, de rejoindre son père et son frère. Il prendra plus spécifiquement en charge les rapports avec la clientèle, les autorités et administrations, et organisera l’informatisation de la distillerie.
Enfin, 2014 voit le départ en retraite d’Hugues et l’arrivée de son fils, Lionel. Une nouvelle génération de Persyn à la distillerie familiale, qui pourra néanmoins compter, encore longtemps il faut l’espérer, sur les conseils et l’expérience de son père et de son oncle.

La distillerie de Houlle, c’est aujourd’hui un savoir-faire authentique, traditionnel, ancré dans son terroir ; un héritage issu de plus de deux siècles de travail et d’expérience. Mais c’est également toute une équipe : Stéphanie, Christophe, Vivien, Jean-Noël et Lionel. Nous conservons cette envie de préserver ce savoir-faire, le patrimoine gastronomique de la région des Hauts de France que nous représentons, mais tout en ne nous empêchant pas de créer, innover, inventer, explorer de nouveaux goûts, de nouvelles saveurs. Cette philosophie a été récompensée le 15 février 2018 aux World Gin Awards à Londres avec le titre de « World’s best Genever » (meilleur genièvre du monde) pour notre Brut de Fût, puis le 25 février 2021 avec un nouveau titre de « World’s best Genever », cette fois-ci pour notre Genever for Long Drink, et encore un troisième le 23 février 2023 avec Juillet Nord, collaboration avec la Maison Ferroni.

En bonus, retrouvez plus d’un siècle de publicités qui ont fait l’histoire de la distillerie de Houlle.