L’invention du genièvre tel qu’on le connaît actuellement et tel qu’on le fabrique à Houlle depuis plus de deux siècles remonte probablement au XVIème siècle. Mais la première mention écrite du genièvre, vers 1650, revient à un médecin hollandais, Franciscus de Le Boë, à une époque où ces derniers concoctaient eux-même leurs potions.
Genèse d’un médicament
Oui, le genièvre est au commencement un médicament, l’herboristerie constituant alors la principale ressource pour la fabrication des remèdes pharmaceutiques. La baie de genévrier (Juniperus communis) était utilisée dès l’Égypte ancienne et la Grèce antique, ses propriétés sont donc bien connues : elle a un effet diurétique (elle facilite l’élimination urinaire), carminatif (élimination des gaz intestinaux), tonique (fortifiant), hypoglycémiant (diminution du taux de sucre dans le sang), hypotenseur (diminution de la pression sanguine), antiviral (notamment contre le virus de l’herpès, responsable du bouton de fièvre), antioxydant… Elle est toujours vendue sous diverses formes en pharmacie (tisane, gélule, huile essentielle…).
L’innovation de Franciscus de Le Boë fut de faire passer au travers de baies de genièvres des vapeurs d’alcool de grain pour en distiller les molécules actives… et accessoirement les parfums. Ce sont en effet plus ses propriétés gustatives que ses propriétés médicinales qui vont faire la réputation du genièvre.
Le « Courage des Hollandais »
Dans une région sans véritable production fruitière, le genièvre est adapté avant la fin du XVIIème siècle en eau-de-vie de grains aromatisée. Il va connaître une expansion rapide aux Pays-Bas et même au-delà. A une époque où les marins bataves dominent les mers et leurs négociants les courants commerciaux, le genièvre, alors surnommé « courage des Hollandais », gagne la Belgique et dépasse les frontières. On commence à produire du Gin en Angleterre. Les Allemands proposent le Wacholder, les Polonais de la Vodka au genièvre… Produit à moindre coût, le genièvre commence à concurrencer le vin et les eaux-de-vie issues de la vigne. Il n’y a qu’en France qu’il ne se développe pas… encore…
Le genièvre s’impose dans le Nord de la France
Le genièvre ne va arriver en France qu’après la révolution, Louis XIV décrétant en 1713 l’interdiction sur son royaume de fabriquer et de vendre d’autres eaux-de-vie que celles issues de la vigne. Seule exception, la Distillerie Royale de Dunkerque produit à partir de 1775 un genièvre uniquement destiné à l’exportation. Mais à partir de 1789, les interdits sont levés. En 1800, on compte déjà une centaine de distilleries dans la région et c’est à cette époque, en 1812, que la distillerie de Houlle est fondée.
Lorsque l’on parle de distillerie, il ne faut pas imaginer alors d’entreprise à taille industrielle, mais d’une activité saisonnière annexe à la ferme. Elle permet pendant l’hiver de distiller le surplus de la récolte céréalière et d’éviter les problèmes de stockage. Les résidus de la distillation, appelés drêches, sont riches en matières organiques et permettent de nourrir le bétail maintenu dans les étables, voire d’enrichir les sols dès la fin des mauvais jours.
L’évolution de la consommation du genièvre
Jusque la moitié du XXème siècle, la consommation de genièvre se fait surtout au café, où l’on se retrouve avant et après le travail, et à la tradition de la la fameuse bistouille, ou bistoulle en patois, le café rallongé de genièvre. Avant la mécanisation et la sédentarisation du travail, la majorité des métiers était pénible. La bistouille réchauffait, donnait du cœur à l’ouvrage. Le genièvre utilisé, sous la dénomination « genièvre fantaisie » ou « genièvre artificiel », était en réalisé le plus souvent un alcool de betterave aromatisé. L’alcool à bistouille avait donc mauvaise réputation, il était considéré comme un sous-produit de mauvaise qualité, bas de gamme, un « alcool du pauvre ». Très loin des standards de qualité du genièvre fin, pur grain, de Houlle, que l’on appelait alors « Schiedam » et qui se consommait déjà à la fin des repas comme digestif.
Après la seconde guerre mondiale, l’évolution de la société et des modes de vie va considérablement modifier les habitudes de consommation du genièvre. La modernisation et la mécanisation du travail ainsi que l’utilisation quotidienne de moyens de transport individuels vont sonner le glas des alcools à bistouille et permettre aux distilleries traditionnelles de redorer l’image du genièvre.
Le genièvre aujourd’hui
La consommation de la bistouille est devenue anecdotique. Le genièvre aujourd’hui est avant tout un digestif typique du Nord de la France. Mais en apéritif, les genièvres blancs, c’est à dire qui n’ont pas vieilli sous bois, peuvent servir de base à de nombreux cocktails, comme par exemple le « Diabolo Flamand » très populaire lors du carnaval de Dunkerque.
Les vieux genièvres n’existaient pas dans le temps, c’était traditionnellement un alcool blanc, alors que l’on peut désormais trouver des genièvres de dix ans, quinze ans, vingt ans… Ils se dégustent comme on le ferait pour une autre eau-de-vie. Certains peuvent aller jusqu’à s’apparenter à un whisky pur malt et être servis comme tel, c’est à dire aussi bien en apéritif qu’en digestif.
Enfin, le genièvre s’inscrit de plus en plus dans le patrimoine gastronomique français. Excellent révélateur de goût, il met en valeur les arômes auxquels il est associé. De nombreux chefs de la région l’incorporent ainsi dans différentes recettes (entrées, plats, desserts) au menu de la carte de leurs établissements, tout comme le font certains producteurs de notre terroir.